Les filles de la Robinais aimaient trop la danse. Elles se réunisaient le dimanche soir, et même plusieurs fois par semaine, tantôt chez l'une, tantôt chez l'autre, pour se divertir jusqu'à une heure assez avancée de la nuit.
Les gars, non seulement du village mais aussi de tous les environs, venaient à ses réjouissances.
Un soir, on fut bien surpris de voir arriver un beau monsieur, qui demanda la permission de prendre part à la danse. Comme il avait fait sa demande bien poliment, on ne le refusa point et même, bientôt, ce fut à qui danserait avec lui tant il était aimable.
A partir de ce jour, il assista à toutes les fêtes. On ne savait ni qui il était, ni d'où il venait ; mais il était si gai, si plein d'entrain, qu'il avait su enjôler tout le monde.
Cependant, les jeunesses qui dansaient avec lui, cessaient d'aimer le travail, ne songeaient qu'au plaisir et se faisaient belles pour plaire au monsieur.
Plusieurs d'entre elles quittèrent le pays et n'y revinrent jamais. Malgré cela, l'étranger continuait à venir au village et se montrait surtout assidu près d'une fille du nom de Jeanne. Ils valsaient un soir ensemblechez une femme lorsque celle-ci, assise dans un coin avec sa fille sur les genoux, fit la remarque que, chaque fois que le couple s'avançait, l'enfant poussait des cris lamentables. Ce fait étrange l'étonna.
Elle avait entendu dire que, lorsque le diable s'approchait d'un innocent, le pauvre petit se mettait à pleurer. Elle examina donc attentivement les jambes du monsieur, car elle savait aussi que satan peut se métamorphoser comme il veut, mais qu'il lui reste toujours un pied difforme.
Qu'on juge de son épouvante, lorsqu'elle vit au bout du pantalon du monsieur un pied fourchu. Elle le fit remarquer à plusieurs jeunes gars qui, sans mot dire, sortirent aussitôt, montèrent à cheval et s'en allèrent au galop chercher le curé.
Le prêtre arriva heureusement quelques secondes avant minuit. Il était revêtu de l'étole et avait à la main un goupillon plein d'eau bénite. Il entra aussitôt et, à la stupéfaction des danseuses, s'avança vers l'étranger qui tenait Jeanne par la main et l'aspergea d'eau bénite. Satan, car s'était lui, jeta un cri de rage et de souffrance, puis s'accula dans un coin.
- Comment voulez-vous que je le fasse disparaître ? Dit le curé ; en vent, en pluie ou en fumée.
- Pas en pluie s'écria-t-on, nous serions noyés !
- Pas en vent non plus, ajouta la femme chez laquelle on dansait, ma maison tomberait !
- En fumée alors, répondit le prêtre. Et il aspergea d'eau bénite le diable qui disparut en fumée par la cheminée, en laissant une odeur de soufre derrière lui.
Trois tours de danse de plus, assure-t-on, et Jeanne était perdue.
Cette fille, qui est morte jeune, avait conservé sur le bras la marque de la griffe que le diable lui enfonça au moment où il fut aspergé par le curé.